débat sur nos "stratégies de lutte"
Contre quoi luttons-nous ? Vers quoi ? Comment ?
Des fois quand nous parlons de ce contre quoi nous luttons, de ce pour quoi nous luttons, des questions fondamentales émergent, que nous n'avons pas souvent l'occasion de débattre sur le fond. Ces questions concernent ce que nous pouvons appeler, entre autres, des “stratégies”. De manière plus simple : pour quoi et comment nous remuons ?
Le but était de formuler et clarifier quelques points de débat émergés entre autres du contenu des discussions, ateliers et rencontres de la semaine de rencontres de l'AMP à lyon... Commencer à y réfléchir, problématiser des choses, formuler et clarifier des points de débats, des divergences ou convergences dans nos stratégies...
Comme la discussion est vaste, et qu'il est difficile de savoir par où commencer, nous avons essayé une certaine forme de discussion.
étape 1 : Brainstorming
D'abord nous nous sommes posé quelques questions, aussi fondamentales que vagues : “mais au fait, qu'est-ce qu'on veut faire ? Et comment ?” Les deux étrant liées.
A partir de ces questions nous avons fait un brainstorming, proposé des idées, avons essayé de signaler si elles étaient des moyens ou des buts, et aussi essayé de trouver comment toutes ces choses étaient liées pour se donner une idée. Bon, c'était approximatif, vague, complexe, et matière à débats pour ouvrir sur la suite... Cela montre déjà qu'il y a des objectifs ou idéaux différents selon les personnes, des moyens d'y parvenir envisagés divers aussi...
(quand je dis “nos” ou “nous”, c'est le groupe en présence, avec vaguement derrière l'idée d'un groupe élargi de tous les gens présents à ces rencontres)
Je vais synthétiser de manière très caricaturale le résultat :
- Quels sont nos buts ?
Ceux qui me semblent les plus généraux :
Lutter contre le capitalisme Faire la révolution ? Construire une démocratie horizontale Lutter contre le patriarcat, le sexisme, le racisme, et l'hétéronorme Destabiliser le système Transformation sociale Faire reculer la misère et l'ennui
Ceux qui me semblent un peu moins généraux, ou un moyen vers les buts ci-dessus, parfois intrinsèquement liés :
Accroître notre joie et notre puissance Fermer l'OMC Lutter contre les règles du capitalisme Créer une autre temporalité Etre autonomes et maîtriser nos outils Développer localement des relations non-marchandes Lutter contre l'idée et l'envie de confort personnel
- Quels moyens envisageons-nous ?
Autour de la lutte contre le patriarcat, le sexisme, le racisme, et l'hétéronorme : faire des campagnes d'informations réagir contre des lois remettre en cause les statuts et rôles qui nous sont assignés envisager de manière politique les relations inter-personnelles et la sphère privée créer des espaces de parole non-mixtes visibiliser des identités sexuelles différentes actions directes
Contre le capitalisme comme système économique et social :
manifestations actions directes repenser nos modes de consommation, ne plus consommer de pétrole et toutes ces merdes développer nos propres outils de production se ré-approprier des connaissances et savoirs-faire arrêter de travailler (salariat) frauder (le péage...) syndicalisme créer et maintenir un rapport de force permanent
De manière générale :
s'investir dans des luttes sociales ne pas employer des voies réformistes
rendre nos questionnements vitaux
Faire des réunions “Sans-Titre” (un réseau francophone lié à l'AMP et à l'organisation de ces rencontres) ou rencontres AMP
organiser des carnavals se réapproprier des espaces
Créer des espaces (virtuels et physiques) libres Inter-connecter les espaces autonomes
Répandre l'idée que l'autonomie est source de satisfaction Communication, visibilité Informer, toucher les autres personnes, ainsi que les enfants et générations futures
Faire des roulades et des câlins Lutter contre la concurrence et les rapports de domination Partager un repas, une bière, un joint, lutter conbtre l'égoïsme
étape 2 : “Argumentations bipolaires”
A partir du brainstorming, nous avons réfléchi que trois thématiques pouvaient être repérées (parmi plein d'autres), on pouvait les formuler en exprimant des points de débats relativement caricaturaux, qui opposeraient chacun deux positions.
Voilà les trois problématiques :
- Les tendances “lifestylisme” s'opposent aux tendances “activisme”, c'est-à-dire que d'une part certaines personnes tendraient à penser que re-penser nos modes de vies est prioritaire, tandis que d'autres tendraient à penser que faire des actions est la priorité.
- Faut-il se concentrer sur des luttes prioritaires ou envisager les luttes de manière globale ?
- Quand nous faisons des choses, voulons-nous communiquer dans le but que les autres comprennent ce que nous faisons et pourquoi, ou préférons-nous nous contenter de faire les actions pour elles-mêmes, car elles sont légitimes en elles mêmes ?
(Nous aurions aussi pu nous demander “pour ou contre les contre-sommets ?”, “pour ou contre la violence ?”, “glace aux framboises ou tofou à la moutarde ?”...)
Après avoir formulé ces points de débats, comme des oppositions volontairement caricaturales, nous avons choisi un des trois thèmes à discuter en petit groupe. Dans chacun de ces groupes il nous fallait imaginer que nous étions dans une position ou l'autre, la défendre et critiquer l'autre. Cela dans le but de développer et imaginer des arguments, même si nous ne les pensions pas ou pas vraiment... Après ce déffrichage, nous pouvions passer à une discussion plus complexe sur ce que nous pensions vraiment...
Par exemple, cela donne :
LIFESTYLISME versus ACTIVISME Changer le monde par des modes de vie alternatifs... ou principalement en se confrontant au système par des actions ?
- pro-lifestylisme
Se confronter à l'état avec nos alternatives est une attaque en soi contre le système. Preuve : la répression contre les squats, centres sociaux, espaces autonomes...
Quand on fait de l'activisme on n'échappe pas au risque de reproduire la logique du système que l'on combat par nos actions.
Il peut y avoir des problèmes de cohérence entre les actions, les idées et la vie quotidienne.
Certaines expériences des Zapatistes montrent que construire l'autonomie est un travail plus profond que simplement mener des actions et le processus (par exemple mettre en place une organisation démocratique directe) est bien plus important que les objectifs, et il inclut tous les aspects de la vie : éducation, système de santé, relations entre les gens...
On critique celles et ceux qui s'enferment et se coupent du monde par leurs modes de vie alternatifs, mais on peut aussi rester enfermé/e dans son milieu activiste et ne pas atteindre les “gens normaux”.
On peut changer les perceptions de la temporalité, par exemple en quittant le salariat...
Si faire pousser des légumes n'aide ou ne sauve pas grand monde, ça n'exploite personne non plus ! Et c'est un pas vers l'autonomie.
Après la révolution il n'y aura plus de supermarchés pour aller se nourrir dans leurs poubelles, donc il faut développer des alternatives alimentaires maintenant...
- Pro-activisme
Actions concrètes contre le racisme : grosses manifestations contre des lois racistes
L'activisme est le seul moyen de créer et maintenir un rapport de force.
Saboter le système de l'intérieur (au travail par exemple).
Le système est tellement violent et oppressant qu'on ne peut que lutter contre, et essayer d'éviter qu'il ne fasse trop de victimes.
Si tu veux te débarrasser de certaines multinationales ou autres entreprises, le plus efficace est de l'attaquer par tous les moyens (sabotage...), et pas uniquement de le boycotter (ne pas consommer ses produits).
Vivre ensemble des alternatives en développant un monde rêvé dans une petite communauté ne change rien si c'est une expérience isolée.
Quand tu fais de l'activisme tu es en contact avec les problèmes globaux.
Il y a tant à faire, que se contenter de faire pousser des légumes n'aide personne.
L'activisme est le seul moyen d'atteindre la révolution.
Se réapproprier des choses issues du système capitaliste, les voler, les récupérer dans les poubelles, donne le temps de lutter contre ce système.
== étape 3 : discussion ==
Ensuite nous essayons d'avoir un début de discussion avec nos vraies idées et arguments, de manière plus complexe et moins bipolaire...
Des personnes pensent que c'est absurde d'opposer comme cela “actvisme” et “lifestylsime”. On ne peut pas opposer mode de vie alternatif et actions directes. D'ailleurs, l'activisme peut être un mode de vie alternatif !
D'autres pensent qu'il faut trouver un équilibre entre les deux. Faire de l'activisme sans bosser sur nos modes de vie, c'est comme faire la révolution sans savoir ce qu'il y aura après. Combiner activisme et mode de vie alternatif permet de préparer la révolution et ce qu'il y aura après. Développer un mode de vie alternatif sans faire de l'activisme est en quelque sorte égoïste.
Que l'on fasse de l'activisme ou du lifestylisme, il nous faut une consicence politique et des objectifs, penser aux discours, consequences et objectifs politiques...
Nous devons penser, discuter et réfléchir à chaque fois qu'on fait des actions : quelles actions ?pourquoi ? dans quel but ? comment ? ... plutôt que de faire des actions pour faire des actions.
Lorsqu'on passe plein d'énergie dans l'activisme, on n'a pas le temps pour le reste, et les rôles et hiérarchies subsistent. Les tâches restent séparées et spécialisées : théorie, actions, ménage. (Marre de l'activisme professionnel (ça ne rapporte même pas d'argent !), tue l'activiste professionnel en toi.)
L'organisation horizontale est aussi importante que les actions en elles-mêmes.
Des actions répétées contre des compagnies ou institutions peuvent être très efficaces. Ainsi que de faire des choses qui contournent les lois et le système et trouver des moyens d'aider des gens (se marier avec un/e migrant/e, héberger des sans-papiers...) C'est une sorte de désobéissance civile.
COMMUNIQUER VERS “LES AUTRES” Communiquer ce que nous faisons ? Ou le faire parce que nous estimons que c'est légitime en soi ?
(les compte-rendus de ces prochaines discussions sont moins détaillés)
Nous ne voulons pas reproduire ce que nous combattons : nier nos idées, modifier les actions qu'on veut faire, juste pour coller à l'”opinion” publique. L'excès serait de refuser toute chose efficace sous prétexte que si quelque chose fonctionne, c'est que ça doit être du réformisme. L'excès “inverse” serait de faire de l'idéologie/ dogmatisme. On ne peut pas non plus ne pas se demander comment nos actions seront perçues. Dans cette perspective, il ne faut pas mépriser les autres. Et il faut réfléchir aux stratégies. Avant tout il faut être lucide. Prendre en compte la situation, et si on fait un truc juste parce qu'on en a envie alors qu'on pense que ça ne semblera pas légitime à des “autres”, mieux vaut ne pas se fatiguer à essayer de communiquer.
LUTTES GLOBALES ET / OU PRIORITAIRES ?
Le patriarcat et le capitalisme sont deux systèmes d'oppression qui peuvent exister l'un sans l'autre, mais dans notre société ils sont intrinsèquement liés, et se nourrissent l'un de l'autre. Donc il nous semble nécessaire de lutter contre les deux systèmes au même niveau.
Nécessité de globaliser des luttes pour anéantir tous les rapports d'oppression, domination, y compris les rapports dont nous profitons : ceux qui maintiennent nos privilèges.
Complexité du racisme intégré, sexisme intégré, etc. Les militant-e-s de ces “causes” en sont aussi les agent-e-s, les personnes qui reproduisent ces rapports de domination.
Chaque personne ne peut pas prendre toutes les luttes de front, s'investir sur tous les terrains.
Alors, dans nos luttes spécifiques, ne pas oublier la dimension globale (la faire au moins passer dans le discours).