Accès à la terre
Le débat s'est déroulé en 2 étapes: d'abord le mercredi 23 à Toulouse où des personnes impliquées sont venues entre autres nous présenter les GFA (groupement foncier agricole) et où des questions de fond ont été abordées, puis le dimanche 27 à Baluet, où nous avons pu pousser un peu plus loin le débat sur la terre et discuter de comment vivre ensemble dans les collectifs et désamorcer les rapports de pouvoir.
Voici, après un résumé succint, une retranscription des débats aussi fidèle que possible, selon les notes qui ont été prises, mais c'était pas facile donc les mots ne sont pas précisément ceux qui ont été employés. Le tout étant ouvert à être corrigé (par exemple en envoyant une correction à automu@no-log.org)
Résumé
A Toulouse nous avons occupé un terrain pendant une semaine, tentant d'interagir avec un quartier menacé par le développement urbain spéculatif, pratiquant des ateliers de construction autonomisante, ouvrant un jardin... Puis nous sommes allé-e-s à Baluet, un lieu occupé par un collectif tentant de s'autonomiser à la campagne, confronté aux problèmes liés à la propriété foncière. Dans ces deux lieux nous avons ouvert des débats sur les questions d'accès à la terre.
Comment renforcer les nombreuses tentatives faites pour s'approprier de la terre, de manière collective en s'opposant à la spéculation foncière, au capitalisme et au patriarcat, sachant que de nombreux groupes ont éclaté, que la propriété privée revient vite sur le devant de la scène?
Les difficultés sont grandes: Sous le capitalisme, on est passé d'une paysannerie auto-suffisante qui n'échangeait que ses surplus, à des entreprises agricoles et des paysan-ne-s qui achètent au supermarché et qui ont essentiellement le même mode de vie qu'en ville. La spéculation foncière augmente, dans certaines régions les résidences secondaires pour friqué-é-s du nord accaparent le marché, "les bons plans" pour accéder à la terre sont parfois inexistants.
Quelles alternatives permettront réellement de remplir les besoins de base (nourriture, habitat...) à un niveau collectif voire global? Cette question va devenir cruciale avec le pic du pétrole. Comment conquérir de l'autonomie dans les métropoles invivables créées par le capitalisme? Des exemples cubains et irlandais suggèrent que les jardins urbains communautaires sont une piste importante: créer des poches d'autonomie alimentaire permet de rendre les villes partiellement autosuffisantes, créer des liens communautaires, de faire un premier pas dans des problématiques globales pour de nombreuses personnes.
A la campagne, plus en plus de collectifs se développent et buttent contre des problèmes constants, notamment le pouvoir de certaines institutions. Ces collectifs pratiquant différentes luttes et compromis pour pérenniser les lieux. Des occupations aboutissent souvent à l'achat d'une partie des terres et des bâtiments (comme à Baluet), pour lesquels différents outils légaux sont utilisés.
Quels compromis faire quand on met en place des outils techniques pour empêcher la spéculation ? Des collectifs désirant aquérir de la terre collectivement se forment en GFA (groupement foncier agricole) ou en SCI (société civile immobilière) pour acheter du terrain qui est loué à un-e ou plusieurs paysan-ne-s. Le GFA est à la base une structure capitaliste à but spéculatif, que lesdits collectifs, ayant besoin d'un statut, essaient de détourner en fonctionnant de manière égalitaire mais sur le long terme (héritages...) beaucoup redeviennent spéculatifs. Apparement la SCI permet de monter des structures associatives dont on peut définir la forme plus librement.
Monter cette forme de projet est, selon les personnes présentes, un compromis tenant compte du fait qu'une révolution agraire n'est pas pour demain, tout en essayant d'engager des dynamiques collectives différant de la propriété privée, pratiquer l'agriculture tout en sortant des terres de la spéculation. Toutefois, ça ne suffira pas à enrayer la spéculation: N'est-on pas limité avec cette approche à des "bons plans" dans les interstices du système? D'où la question de la construction de rapports de force.
Différentes questions se posent: Comment développer des réseaux de solidarité, que ce soit "ville-campagne" ou "campagne-campagne"? De tels réseaux existent par endroits, notamment entre squats urbains (dont sont issu-e-s de nombreux-ses "néo-ruraux") et communautés rurales, donnant lieu à échanges et entraide. Entre lieux alternatifs ruraux, dont certains existent depuis plus d'une génération, il faut arriver à mieux transmettre les expériences bien que cela se fasse déjà au travers des rencontres, chantiers, médias indépendants...
Il est important de savoir que les relations développées dans les villages environnants peuvent aussi s'avérer cruciales lors de menaces d'expulsion ou de destruction. Des relations peuvent aussi se nouer à travers les AMAP (association pour le maintien d'une agriculture de proximité) ou "paniers de légumes", pour autant que soient possible des échanges ou du troc, sans quoi les prix opèrent une sélection sociale qui coupent les gens précaires de ces initiatives.
L'achat de terre est inimaginable pour la plupart des précaires urbains. Comment dépasser les limites des petits groupes affinitaires? Comment faire des ponts avec d'autres mondes dans lesquels les codes et les normes sont différents? Ca demande beaucoup de travail de déconstruction de nos normes, et aussi beaucoup de persévérance dans l'approche d'autres milieux. Comment inviter et accueillir des personnes qui débarquent dans des lieux dont les manières de fonctionner ne leur sont pas familières? Un repas ou des travaux ensemble pour se connaitre, des discussions pour mieux cerner les attentes et formuler les projets... Tout un travail qui demande beaucoup d'attention, qu'on est souvent pas prêt-e-s à donner.
De fait on se trouve actuellement dans une situation paradoxale: d'un côté beaucoup de personnes cherchent des lieux, d'autre part de nombreux lieux manquent de monde, voire ont été désertés. D'où l'importance de pérenniser le lieu au niveau foncier, mais aussi le collectif et l'envie de vivre ensemble.
Comment démanteler les rapports de pouvoir en interne? La constitution d'un rapport de force avec les institutions étatiques ne semble en effet possible qu'en consolidant nos collectifs, en déconstruisant les relations issues du patriarcat qui recréent de l'oppression entre nous et ont fait éclater tant de groupes. Divers outils existent: partage des tâches, assemblées régulières, groupes d'appropriation de la parole, pour visibiliser nos ressentis et déconstruire nos mécanismes, jeux de rôle, médiation externe, échanges inter-générationnels...
Réfléchir aussi à quelle part de notre temps on veut consacrer à la survie, quelle part pour l'action politique, quelle part pour les relations humaines, quelle part pour le jeu et la créativité... Pour ne pas tomber dans une dynamique de travail séparé de la vie! Pour autant que les contraintes du système nous laissent le choix...
Finalement on ne peut pas séparer toutes ces questions du contexte global du capitalisme, de sa mondialisation, de la dépossession que nous connaissons tou-te-s. Dans les luttes pour l'accès à la terre, on se confronte à de nombreuses institutions, donc la pression qu'on peut exercer sur celles-ci par nos actions est aussi nécessaire. Ce qui nous ramène à l'intérêt de structures comme l'AMP pour aider à coordonner les luttes.
Pour continuer à avancer sur toutes ces questions que nous avons défrichées, et aider à organiser la solidarité entre les lieux, nous avons établi une liste de contacts (principalement dans le sud-ouest mais pas seulement grâce à l'AMP), dont on espère qu'elle sera utile, dépendant des initiatives de chacun-e.
Débat à Toulouse
Ce débat a été enregistré, mais l'enregistrement n'est pas encore accessible. Voici donc une tentative de résumé synthétique.
Plusieur-e-s intervenant-e-s sont impliqué-e-s dans des GFA (groupement foncier agricole), dont le principe est d'acheter des terres collectivement, en indivisibilité (les parts financiéres sont individuelles mais le terrain lui-même est indivisible), pour louer la terre à un-e ou plusieurs paysan-ne-s. La SCI (société civile immobilière) est un autre outil du même type. Les buts des collectifs représentés sont:
- Permettre à des gens de pratiquer une agriculture paysanne, d'acquérir des outils ou de construire des bâtiments.
- Bloquer des terres, les sortir de la spéculation.
- Impliquer un maximum de personnes dans la problématique de la terre, par l'achat de parts comme premier pas.
Mais attention: le GFA est un outil légal créé dans le cadre du capitalisme (tout comme la SCI), qui est censé dégager des dividendes pour les possesseur-e-s de parts, dont les parts sont héritées en cas de décès, et dans lequel le pouvoir de décision est proportionnel à l'argent investi... Mais c'est quand même une forme de propriété collective, qui permet à celles et ceux qui l'utilisent dans des buts non spéculatifs d'en changer les règles d'un commun accord; par exemple, les collectifs représentés ici ne distribuent en fait pas de dividendes, et prennent les décisions selon le principe 1 personne : 1 vote. Reste la question de l'héritage, qui semble poser problème dans ces GFA "alternatives" puisque les héritier-e-s ne sont pas forcément anticapitalistes, loin de là, donc l'orientation de ces GFA tend à re-dériver vers leurs buts originels. Surtout, ce mode de transmission de la propriété est fondamental dans le capitalisme.
Monter cette forme de projet est, selon les personnes présentes, un compromis tenant compte du fait qu'une révolution agraire n'est pas pour demain, tout en essayant d'engager des dynamiques collectives différant de la propriété privée. Oui mais: ça ne suffira pas à enrayer la spéculation. N'est-on pas limité avec cette approche à des "bons plans" dans les interstices du système? D'où la question de la construction de rapports de force.
Sous le capitalisme, on est dépossédé-e-s du sens, du temps et de l'espace. On est passé d'une paysannerie auto-suffisante qui n'échangeait que ses surplus, à des entreprises agricoles et des paysan-ne-s qui achètent au supermarché et qui ont essentiellement le même mode de vie qu'en ville. La spéculation foncière augmente, dans certaines régions les résidences secondaires pour friqué-é-s du nord accaparent le marché, "les bons plans" pour accéder à la terre sont parfois inexistants.
L'achat de terre est inimaginable pour la plupart des précaires urbains. Y a-t-il une ouverture possible avec les groupements d'achat collectif? Ensuite, cette ouverture peut-elle réellement remplir les besoins de base (nourriture, habitat...) à un niveau collectif?
L'exemple de l'Irlande est intéressant: dans la plupart des villes, des liens communautaires se créent autour de jardins collectifs dans des arrière-cours ou des terrains en friche. Des activistes lancent de telles structures dans l'idée de faire face à la raréfaction du pétrole qui va bientôt causer une pénurie mondiale de nourriture, sachant que les rendements actuels sont soutenus par les produits pétrochimiques. Cuba a su faire face à une telle situation de type "pic du pétrole" causée par l'embargo, en re-développant une agriculture décentralisée, s'appuyant largement sur des jardins urbains communautaires. La stratégie des activistes irlandais est de créer des poches d'autonomie alimentaire qui devront essaimer pour rendre les villes largement autosuffisantes. Un des enjeux principaux est de faire de ce premier pas vers le collectif un tremplin pour que les gens se politisent sur les questions globales, ce qui fonctionne plus ou moins bien selon les villes. Actuellement ce mouvement est en train de grandir rapidement, des nouveaux quartiers viennent demander conseil à ceux qui ont déjà commencé, etc... Fait intéressant: les gens des quartiers s'approprient rapidement cet outil, tandis qu'on voit rarement les activistes mettre la main à la terre...
- idée de s'inspirer des luttes dans des pays plus pauvres pour la "terre à celles-ceux qui la travaillent" (contexte différent où l'autonomie est question de survie)
- ici certaines occupations aboutissent à des succès partiels
- idée de s'attaquer aux organismes qui gèrent la spéculation, au niveau étatique ou privé
- développer les liens entre luttes, ville-campagne...
- réfléchir à quelle part de notre temps on veut consacrer à la survie, quelle part pour l'action politique, quelle part pour les relations humaines, quelle part pour le jeu et la créativité... Pour ne pas tomber dans une dynamique de travail séparé de la vie!
Débat à Baluet
En attendant une synthèse, on a juste retranscrit le débat intervention par intervention
- lors des discussions qui ont déjà eu lieu au sujet des moyens pour lutter contre la propriété privée qui est plus vaste que la seule question de la terre, la question se pose : quels compromis faire quand on met en place des outils techniques pour empêcher la spéculation (SCI,GFA...) ?
- les gens qui sont à la campagne ont une certaine vision de la terre alors que les gens qui sont en ville en ont une autre...
- il ne faut pas seulement créer des bulles affinitaires où l'on oublie le contexte général mais faire face aux questions de l'habitat dans son ensemble, surtout en ce qui concerne tous les gens qui habitent en ville. Tout le monde ne peut pas se regrouper de façon affinitaire, d'autant plus dans le long terme.
- les SCI ou GFA donnent un accès direct à la propriété, ce qui n'est presque pas possible en ville. On négocie des compromis dans le contexte de la propriété privée pour pouvoir pérenniser des lieux.
- Il est essentiel de monter des structures associatives dont on peut définir la forme, ce qui est possible en SCI, au lieu de faire des GFA, outils capitalistes qui ont trop souvent virés vers des projets spéculatifs. On peut se demander pourquoi on continue à monter des GFA, si ce n'est pour en faire hériter ses enfants...
- comment passer de la survie à la vie? D'abord des groupes se forment autour de projets et trouvent ensuite des lieux. La campagne est moins dense, ce qui ne veut pas dire que c'est plus facile, par exemple il est plus difficile de squatter à la campagne. Comment arriver à pérenniser sans risquer de voir les groupes éclater?
- comment peut-on développer un rapport de force en créant des réseaux de soutien et une continuité de lutte?
- il faut se rendre compte que l'on ne peut être dans la confrontation tout le temps, en construisant des choses simplement et efficacement, on se renforce aussi.
- faire des projets, c'est sympa mais il y a de fortes résistances: pression de la justice, refus de permis de construire, DDE, mairie, menace de démolition... ce sont des pressions qui vont aller en augmentant.
- il y a toujours et partout des problèmes pour pérenniser, que ce soit à la ville ou à la campagne, donc il faut porter la réflexion sur la question de renforcer les liens autant pour créer des rapports de force que simplement pour de l'entraide.
- si on prend l'exemple de Baluet, apparemment le juge impose que la vente se fasse aux enchères, sera-t-on un jour assez fort pour s'opposer à une telle décision?
- le cas de Baluet n'est pas si simple, pendant les premières années, c'était une occupation qui n'était pas menacée, donc on n'avait pas l'obligation d'acquérir du foncier. Plus tard il y a eu le procès et la demande d'expulsion, du coup la majorité des gens se sont défilés. Comment lier les idées qui nous rassemblent (lutte contre la propriété privée) et assurer la pérennisation? Ce qui nous rassemble c'est aussi l'envie liée à la terre et à l'agriculture et le fait que l'on devient une équipe liée, on n'a pas envie de perdre tout ça, c'est pour ça que l'on fait le compromis d'acheter. La lutte contre la propriété privée se passe en amont, ça date de la révolution française, maintenant on n'arrive même pas à virer sarkozy, donc la propriété c'est vraiment énorme. C'est bien de voir que le débat sur la propriété continue mais dans la pratique on est coincé, on a déjà acheté une partie de la terre et on n'ira pas au-dessus d'un certain montant dans la vente aux enchères. Ce sera toujours possible de lutter ensuite.
- les lieux collectifs à la campagne sont souvent isolés, il serait temps de développer la transmission de connaissances, on arrive à la seconde ou troisième génération de néo-ruraux. Comment progresser réellement?
- il faut que les collectifs fassent le pas de demander de l'aide ou des échanges de savoir.
- les liens ville-campagne sont à cultiver, ne serait-ce que parce qu'il y a moins de récup à la campagne.
- quand on commence à acheter du matériel (gros outils...), on s'endette vite, ce qui nous pousse aussi à s'organiser autrement au niveau des recherches de soutien, y compris au niveau institutionnel. On passe alors à une nouvelle phase du projet.
- il existe aussi des systèmes de caisse de solidarité.
- c'est faux d'opposer le rural et l'urbain, de fait les gens à la campagne sont très mobiles, ils doivent souvent aller bosser en ville. Il y a un mouvement social qui est en train de mûrir car de plus en plus de collectifs se développent et buttent contre les mêmes problèmes, notamment le pouvoir de la DDE. Bientôt il faudra faire plus de propagande, d'occupations de bureaux. Des lieux comme Baluet ont déjà fait ce genre d'actions, il faut continuer.
- Des échanges ville-campagne intéressants ont été faits entre le collectif de La Roya et un squat de Nice (légumes, matériel récupéré...) Après l'évacuation du squat, un système de colis de légumes s'est mis en place, avec de nombreuses visites de niçois-e-s à la Roya, permettant de réelles rencontres.
- Les relations campagne-campagne sont tout aussi importantes que les relations ville-campagne! Un collectif de soutien à un lieu a pu défendre un lieu pendant 2 ans grâce aux contacts développé dans le village: des villageois-es avec qui des relations personnelles s'étaient nouées ont intégré le collectif de soutien, et ont été parler au maire avec plus de succès que les personnes extérieures au village.
- Au fil des occupations urbaines successives (squat ou occupation de fac), puisqu'elles sont souvent à court terme, on développe le réflexe de limiter nos projets, ce qui est très dommage. Peut-être que les gens qui sont à la campagne pourraient nous apporter d'autres perspectives, comme par exemple à Toulouse le paysan qui a apporté un motoculteur pour faire un jardin. Il faut dépasser la dimension symbolique pour aller vers du concret, du long terme.
- Le problème est que souvent les gens s'éparpillent après l'expulsion d'un squat, ce qui rend ces aventures illégales presque contre-productives. Par contre, certains collectifs comme à Barcelone ou à Lausanne sont parvenus à se réunir après les expulsions, à réfléchir ensemble à une direction commune (squatter autre chose, former une coopérative d'habitation, etc...)
- Dans les relations ville-campagne, il manque souvent les immigré-e-s, les gens des quartiers qui n'ont pas accès à nos réseaux, qui sont plus précarisé-e-s culturellement. Comment sortir de nos réseaux "familiaux", aller vers d'autres mondes, casser cette barrières alors qu'une demande existe des deux côtés? Lors de l'occupation pendant la rencontre décentralisée à Toulouse, nous avons tenté d'établir le contact avec le quartier, avec un succès partiel. Il aurait peut-être fallu organiser le repas final en terrain neutre... De toute façon il nous aurait fallu plus de temps.
- Dans les AMAP (association pour le maintien d'une agriculture de proximité), le problème est que beaucoup de gens en ville n'ont pas les moyens de se payer les colis de légumes, ce qui sélectionne socialement. Des coups de main peuvent y pallier, il faut développer des échanges moins monétaires. Sachant que la demande existe chez les immigré-e-s, mais que les contacts manquent.
- L'exemple des jardins de Cocagne à Genève est intéressant, car non seulement ça existe depuis une vingtaine d'années, mais surtout les adhérent-e-s participent quelques jours par an pour pouvoir recevoir des colis moins chers.
- Les systèmes de troc existent aussi. L'essentiel c'est les pratiques de solidarité.
Vivre ensemble dans les collectifs
- On entend toujours ce discours "il faut créer des liens" sans jamais se demander: pourquoi s'attacher? Face au capitalisme, ne faut-il pas plutôt créer des espaces de liberté de choix?
- On a de toute façon besoin de relations, de toutes sortes d'alliances pour ne pas être isolé-e-s.
- C'est bien de chercher à libérer la terre du capitalisme, mais il ne faut pas oublier que le patriarcat sévit encore à l'intérieur de nos collectifs. Pour désamorcer les mécanismes de domination, on peut développer des pratiques au niveau des prises de parole.
- Dans les groupes de parole, qui peuvent par exemple se tenir une fois par mois, on évite une bonne partie des conflits, notamment grâce à des interventions extérieures et des échanges inter-générationnels. On apprend ainsi à vivre ensemble, c'est difficile mais très enrichissant. Le patriarcat et les représentations familiales sont incrustées en nous, donc il ne suffit pas de décider de changer pour changer effectivement. Il faut observer, puis déconstruire ces normes patriarcales; et pour ça il nous faut des outils. Par exemple: a) on observe en exprimant les ressentis: "Tu m'as blessé-e", "Oui, mais j'ai pas été respecté-e". b) on accepte ces ressentis, on donne une existence réelle aux sentiments. c) on tente d'analyser "Il y avait surement des bonnes raisons derrière ces réactions, quelles sont-elles?" d) on réfléchit à comment modifier nos attitudes pour prévenir les rapports oppressants dans la relation.
- Dans les assemblées, il est tentant de vouloir séparer les problèmes techniques et les problèmes relationnels, alors qu'ils sont souvent liés (p.ex. matériel et conflits personnels). If faut donner une qualité suffisante aux assemblées pour pouvoir poser tous les problèmes, y compris le relationnel.
- On peut comprendre parfois pourquoi on se retrouve séparé-e-s, avec ici les paysan-ne-s, là les pédés, ailleurs les immigré-e-s, etc... Mais au contraire on a besoin de se rassembler sur des bases communes, comme le fait que tout le monde subit le patriarcat.
- A Baluet, quand on n'était que 4 personnes, on n'avait pas besoin de groupes de parole, mais c'est devenu nécessire depuis que 5 nouvelles personnes nous ont rejoint, même si a priori il y avait de fortes affinités. Donc on tient ces groupes de parole une fois par mois, hors des assemblées, avec des personnes choisies, La règle étant qu'on ne peut pas esquiver. Lorsqu'il y a des intervenant-e-s extérieur-e-s, ça permet de traduire certaines choses trop difficiles à exprimer, ou d'éviter les prises de pouvoir pour que ça reste horizontal.
- Quand on a appris à se connaître, il y a des acquis qu'on ne remet plus en question. Mais comment faire quand quelqu'un débarque d'ailleurs, dans un milieu dont il-elle ne connaît pas les codes, les normes? Il faut aider les autres avec sa propre expérience.
- A Frayssinous, on n'arrivait pas à prendre du recul, donc on avait des conflits qui se répétaient. On a essayer de pratiquer le théatre-forum: on rejoue les situations de conflit, ce qui permet de prendre du recul, en ajoutant aussi de l'humour. Les plus timides peuvent aussi prendre part plus facilement. On peut prendre position, interchanger les rôles... Mais il ne faut pas en abuser, ça peut devenir dangereux pour les cerveaux!
- Sujet difficile: le langage utilisé, les mots qui peuvent avoir des impacts différents. Quel que ce soit l'outil de communication, ça reste dur: mieux vaut multiplier les outils.
- Sentir des liens avec les autres c'est rassurant, mais psychologiquement on reste toujours seul-e. Quand on tente de se déconstruire, c'est dur de ne pas se faire mal, de ne pas perdre pied... Les angoisses vis-à-vis des normes culturelles et sociales sont même plus importantes que le sentiment de marginalisation par rapport au travail ou à la famille. Quand on est dans un milieu normatif (le "monde normal"), c'est bien de trouver des gens avec qui partager des rêves différents mais c'est dur de sortir de l'isolation.
- Dans cette réunion de l'AMP (et ailleurs), il y a des personnes réticentes aux prises de parole en assemblée, donc comment intégrer leurs points de vue? C'est assez délicat de trouver un fonctionnement qui le permette.
C'est vrai que pour beaucoup de personnes c'est dur de prendre la parole en public, qu'on peut se faire violence. Mais l'enjeu est très important: être vrai-e dans ses relations, ne pas faire semblant. Il faut forcément prendre des risques au niveau intime pour y arriver.
- Quand on fait des grands groupes, il y en a joujours qui parlent moins, surtout des femmes. On peut limiter voire éviter ça en faisant des petits groupes.
- Pour que les gens réservés, ou ayant besoin de temps pour cadrer leurs idées (alors que d'autres arrivent facilement à rebondir du tac au tac), il est bon de laisser des temps de silence, pour offrir une porte ouverte à ces gens pour s'exprimer.
- C'est gênant quand dans les débats on arrive toujours à des oppositions, alors qu'il y a juste une diversité de points de vue complémentaires.
- Souvent on a peur de la parole, mais de toute façon on l'utilise d'une manière ou d'une autre. Expérience intéressante: pendant la caravane féministe l'an dernier, il y a eu une rencontre avec des gens des quartiers, qui en bonne partie parlent en arabe-français d'où des différences de langage importantes. La formule des discussions en plus petits groupes a sérieusement aidé les gens timides à s'exprimer.
- Autres outils: On peut aussi faire des réunions sans fumée, ou alors lorsqu'on se sépare en petits groupes, il peut y avoir un groupe de fumeurs-euses.
- Il n'y a pas que la parole qui compte, il y a aussi tous ces moments dans une journée où on ne parle pas. Et pourquoi toujours se lier, se grouper? Des fois ça prend simplement trop d'énergie...
- On peut aussi entrer en relation en organisant le "faire" en commun, on échange ainsi de l'énergie, de la créativité... Ca aide à se connaitre et à se faire confiance, et c'est ensuite plus facile de se parler. Il y a des exemples en Afrique ou au Brésil avec la capoeira, où à la fin des activités communes il y a un temps pour la parole, tour à tour. Ce genre de choses amène une évolution, la confiance vient même aux plus timides.
- N'empêche qu'on est tout le temps dans le "faire", et que c'est indispensable de proposer des moments (sans passer tout son temps à parler bien sûr) pour réfléchir ensemble à ce qu'on fait, et à où et pourquoi on a explosé, où on a pas assez parlé, etc... Faut bien voir qu'on est toujours dans des collectifs, même un couple c'est une sorte de collectif.
- Diverses idées de jeu ont été mises par écrit, une personne présente en a en anglais. Il est intéressant de diffuser ce genre de document.
- Dans les expériences collectives, il y a plein d'acivités qui procurent du plaisir, commes les activités dites "futiles": peinture, chant... Ca fait aussi partie de nos besoins!
- Il y a aussi les activités individuelles qui peuvent être organisées collectivement, pas seulement celles pour la collectivité.
Il faut distinguer les étapes dans un projet de vie collectif: a) avant l'accès au terrain, il y a la base d'un projet, il faut bien en discuter pour le définir. b) la vie quotidienne fait apparaitre de nouvelles problématiques, on est tou-te-s différent-e-s et il faut arriver à continuer à échanger. c) quand le collectif s'élargit, il faut aussi beaucoup de discussion sur le projet, sur les envies, établir une confiance.
- Il ne faut pas perdre de vue, malgré les différences et les conflits, nos idées communes qui sont derrière tout ça. Ca fait une différence avec les gens qui sont isolé-e-s.
- Comment communiquer avec les gens qui ne connaissent pas ce monde merveilleux qui est le notre? Comment accueillir quelqu'un-e qui est peu habitué-e à ces fonctionnements? Souvent les gens sont rebuté-e-s par la fermeture d'un groupe, et repartent car illes ne se sentent pas invité-e-s. C'est très important de faire attention à ça! Comment coacher, écouter ce qu'illes veulent, partager ce qui est génial pour nous...
- Mais tout ici n'est pas merveilleux, loin de là!
- L'ouverture vers l'extérieur n'est pas toujours facile, par exemple avec les journalistes (écolos ou autres) qui débarquent comme dqns un zoo sans rien demander à personne. Mais si on arrive à utiliser les média pour montrer nos expériences, ça peut aider à un dégel avec des gens extérieurs. Et amener à d'autres ouvertures, par exemple en parageant un repas pour discuter et voir les envies.
- Mais il faut quand même aller chercher les gens, il faut faire des pas, ça ne se fait pas tout seul. Se demander comment déconstruire notre regard par rapports aux autres (p.ex. gens des quartiers), ensuite seulement les gens peuvent venir. Mais il faut du temps, ce qui nous manquait lors de l'occupation à Toulouse.
Il est important de créer nos propres médias, en plus d'utiliser les autres. Mais comment inclure d'autres gens dans nos outils? Il faut aller dans des lieux qui sont différents politiquement, tenir des tables de presse sur les marchés, éviter le radicalisme médiatique. Les paroles dogmatiques créent un mur! En plus, il faudrait prévenir les paroles négatives de nos "ennemis" dans les médias.
- Comment arriver à casser les murs entre les mondes? On essaie de le faire entre hommes et femmes, mais faut bien voir que les fachos, par exemple, sont aussi dans leur monde bien à eux, qu'on aperçoit que dans des moments d'opposition. Mais au fond on a tou-te-s les mêmes besoins.
- Les étiquettes dans les luttes peuvent faire que les gens ne se sentent pas concerné-e-s. D'autre part, c'est essentiel qu'on perçoive un espoir, qu'il y ait un projet. Il faut aussi parler avec le langage du coeur!